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Full text of "L'Arbre a Feu : Poemes"

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Angèle  VANNIER 


L'ARBRE  A  FEl 

Poèmes 

Préface  de  Paul  ELUARD 

AVEC  QUATRE  COMPOSITIONS 

de  Claude  ROEDERER 
★ 


ÉDITIONS  DU  GOÉLAND 

—  PARAMÉ  (Ille-et-Vilaine)  — 


î 
F 


I 


IL  A  ÉTÉ  TIRÉ  DE  CET  OUVRAGE 
30  EXEMPLAIRES  SUR  PAPIER 
EXTRA  -STRONG  NUMÉROTÉS  DE 
I  A  30  EN  CHIFFRES  ROMAINS 
ET    SIGNÉS    PAR  L'AUTEUR 


Angèle  VANNIER 


ARBRE  A  FEU 

Poèmes 


Préface  de  Paul  ELUARD 

AVEC  QUATRE  COMPOSITIONS 

de   Claude  ROEDERER 


ÉDITIONS  DU  GOÉLAND 

—   PARA  ME    ( Ille -et -Vilaine)  — 


D U    MÊME  AUTEUR 


Les  Songes  de  la  Lumière  et  de  la  Brume  (Savel  1946) 

Prix  Marie- Bonheur  du  Goéland   -  Préface  de  Th.  BR.ÏANT 


I 


Tous  droits  de  reproduction  et  de  traduction  réservés  pour  tous  pays. 
Copyright  by  Angèle  Vannier  and  Goéland  1950. 


J'ai  entendu  Angèle  Vannier  chanter.  Son  regard 
était  dans  sa  voix  et  les  images  qu'elle  m'offrait  effa- 
çaient la  nuit. 

J'ai  entendu  Angèle  Vannier  me  promettre  le  soleil, 
car  je  l'avais  oublié,  «  sa  langue  d'or  —  sa  langue 
vive  »,  car  elle  avait  compris  que  je  ne  la  parlais  plus. 

Le  langage  d' Angèle  Vannier  ne  tourne  pas  autour 
des  choses,  il  va  directement  aux  choses,  il  les  porte 
comme  une  mère  porte  son  enfant  luisant,  comme  un 
doigt  porte  un  diamant,  pour  le  montrer. 

Des  mots  plus  frais  que  l'aube  m'ont  promis  la 
chaleur  et  que  tout  peut  fleurir,  même  ce  que  je  n'ai 
pas  vu,  tout  ce  que  j'ai  imaginé.  Des  mots  chargés  de 
jour  éclairent  la  raison  d'être  d'un  monde  dont  je  ne 
connais  réellement  qu'une  infime  partie.  Lumière  par 
le  cœur,  lumière  de  sympathie,  immense  et  efficace. 

Poésie  du  bonheur,  légère  langue  aérienne  qui  fait 
confiance  à  ce  qui  est,  sans  douter  de  ce  qui  sera,  cou- 
rage qui  s'ignore,  espoir  incarné,  sans  rien  de  commun 
avec  le  désespoir. 

Le  soleil  et  l'azur,  les  fleurs,  les  fruits,  les  blés,  le 
visage  des  hommes,  leur  rêve  et  leur  effort,  leur  amour 
et  leur  peine,  la  lente  convulsion  des  mers  et  la  rouille 
des  continents,  Angèle  Vannier  aveugle,  préserve  tout 
de  l'ombre.  Merveilleusement. 

«  Attelle  ta  charrette  à  une  étoile  »,  dit  Emerson. 

Paul  ELUARD. 


2 


5 


GUÉRIR 
★ 


i 


7 


1 


GUÉRIR 


A  la  fontaine  de  feu 

Qui  dort  dans  mes  mains  ouvertes 

Écoutant  les  feuilles  mortes 

Transpercer  sa  chair  brûlante 

L'oiseau  boit  la  flamme  verte 

Seul  témoin  de  mon  espoir 

Il  jure  par  le  soleil 

Par  la  cendre  de  mes  yeux 

Par  le  puits  de  mes  mains  blanches 

Que  je  suis  sauvée  du  bruit. 

Gourmandise  d'un  silence 
Où  ma  bouche  et  mon  oreille 
Cueillent  un  audible  fruit 
Mûri  dans  la  solitude. 

Gardez-moi  de  la  chanson 
Qui  tourne  au  coin  de  la  rue 
Et  de  la  fille  éraillée 
Qui  veut  m'appeler  sa  sœur. 

Gardez-moi  d'un  grand  amour 
Qui  trancherait  mon  courage 
Avec  un  couteau  tranquille 
Aile  aiguisée  sur  l'azur. 

Un  ami  s'en  est  allé 
A  cheval  sur  un  navire 
Au  galop  vers  quel  soleil 
Pas  celui  de  ma  fontaine 
Trop  gris  pour  lever  une  aube 
A  la  taille  de  ses  yeux. 


Si  j'étais  morte  en  rêvant 
Rien  n'aurait  changé  de  face. 
J'avais  bien  voulu  partir 
J'ai  bien  voulu  revenir 
Revenir  à  la  fontaine 
Découvrir  la  paix  prochaine 
Où  les  larmes  vont  fleurir. 


L'ENFANT  BLEU 


Un  enfant  bleu  casqué  d'étoiles 
Il  se  mesure  avec  l'espace 
Mer  et  ciel  l'acte  d'horizon 
Prolonge  sa  ronde  chanson 
Quand  il  la  joue  à  pleines  voiles. 

Grave  et  dur  cassant  les  carreaux 

Avec  les  cailloux  qu'il  expire 

Il  demeure  dans  l'indigo 

Le  temps   d'aimer  tous   les  oiseaux. 

Il  s'agite  sous  mes  paupières 
Comme  un  oiseau  multiplié 
L'enfant  qui  cerne  la  lumière 
Avec  les  bras  qu'il  a  gagnés. 

Pas  une  main  pas  un  visage 
Sa  présence  est  une  couleur 
Pas  une  voix  mais  un  message 
Il  dissout  mes  plus  vieux  nuages 
L'enfant  loué  par  sa  rigueur. 


PIERRE 


Ton  nom  comme  un  diamant 

Lumière  d'eau  solide 

Ton  nom  comme  un  caillou  très  dur 

Posé  sur  la  terre  fertile 

D'où  je  viens  où  je  vais  naissance  et  mort 

Et  puis  naissance  encore 

Ton  nom  debout  et  soutenant  cette  demeure 

Bâtie  pour  nous  par  les  oiseaux  du  ciel 

Pierre  sur  Pierre  ô  la  maison 

Dans  laquelle  nous  dormirons 

J'y  changerai  mon  cri  de  vierge 

Contre  le  goût  de  ton  sommeil 

Mon  cœur  descendra  dans  ta  bouche 

Comme  une  jarre  vide  au  fond  d'un  très  doux  puits 

Et  n'en  remontera  qu'à  la  fin  de  la  nuit 

Avec  cette  lourdeur  heureuse  et  balancée 

Qu'ont  toujours  les  choses  comblées. 

Pierre  ton  nom  c'est  un  navire 

Tout  est  perdu  puisqu'il  s'enfuit 

Pierre  ton  nom  c'est  une  étoile 

Tout  est  gagné  si  je  la  suis 

Pierre  ton  nom  sur  les  chemins 

Tous  les  chemins  perdus  qui  gagnent  le  grand  jeu 

En  passant  par  l'eau  claire 

Et  les  bons  fruits 

Et  le  climat  des  oiseaux  bleus 

Tous  les  chemins  qui  montent  vers  le  feu 

Lorsque  chacun  parie  pour  le  mystère 

Et  que  la  nuit  fait  détaler  la  terre. 


14 


POUR  UN  POÈTE 


Ton  visage  grandit  dans  Pombre 
Remplit  ma  chambre  et  me  contient 
C'est  à  ta  langue  que  j'adhère  avec  délices 
Comme  le  coquillage  à  la  proue  du  vaisseau 
Répète-moi  dans  le  tohu-bohu  de  tes  grands  mots. 

Que  je  demeure  en  ta  parole 
Malgré  tout  malgré  toi 
Malgré  la  défense  des  rois 
Malgré  le  vent  qui  souffle  de  là-bas 
Malgré  la  pluie  des  sauterelles 
Et  Pinvasion  des  enfants  morts 
Malgré  le  sort  malgré  le  sort. 

Que  je  demeure  en  ta  parole 

Ta  voix  ta  voie 

La  voix  la  voie  des  solitaires 

Qui  changent  l'ordre  de  la  terre. 

Tu  fais  lever  le  pain  dans  le  sable  éternel 

Tu  vas  puiser  le  vin  dans  les  caves  du  ciel 

Et  tu  cultives  des  fontaines  dans  la  pierre 

O  mon  ami  beau  solitaire. 

Que  je  reste  toujours 

Le  heu  par  où  tu  dois  passer 

Que  je  te  sois  obligatoire  ô  mon  ami 

Mais  tendrement  à  la  manière  de  l'oasis 

Au  pèlerin  qui  franchit  le  désert. 

Il  te  faudra  si  peu  creuser 
Pour  découvrir  ma  source. 


ï5 


D'ABORD  DES  CRIS. 


D'abord  des  cris  soulevèrent  ma  chair 

Bulles  crevant  à  la  surface  humaine 

Avant  d'atteindre  l'appelé 

Puis  son  absence  me  devint 

Plus  nécessaire  que  le  pain 

Plus  intérieure  que  la  faim 

Intarissable  elle  coula 

Le  jour  la  nuit  pendant  des  mois 

Et  ma  raison  fut  inondée. 

Mon  cœur  nageait  entre  deux  eaux 

Telle  la  quille  d'un  bateau 

Soutenant  tout  le  poids  qu'il  faut 

Mais  dont  la  voile  à  découvert 

Propose  un  songe  à  l'univers. 

Navire  en  chambre  close  soleil  dans  un  miroir 

La  mer  il  n'y  a  pas  de  mer  pas  d'espoir. 

A  bord  une  fille  qui  va  mourir 

La  fièvre  exauce  son  désir 

La  religieuse  tient  un  livre  de  cristal 

Elle  lira  délivrez-nous  du  mal 

Mais  la  fille  en  partance  appelle  longuement 

Celui  qui  bouge  au  cœur  du  livre  transparent 

Il  change  sans  effort  le  signe  de  la  Bible 

Sa  bouche  appartient  aux  miracles 

Tout  en  faisant  la  part  du  sang 

Et  les  amis  s'en  vont  chassés  par  cet  absent 

Tellement  il  est  invisible. 

16 


Nos  amis  les  chanteurs  les  charmeurs  de  serpents 

Comme  vous  aimiez  ma  détresse 

Vous  attendiez  l'épave  la  promesse 

La  figure  de  proue  qui  reste 

Revenant  toujours  de  partout 

Avec  la  cicatrice  au  cou 

Mais  un  soleil  entre  les  dents 

Pour  le  dessert  de  vos  enfants. 

Et  la  parole  est  au  silence  maintenant. 


17 


DÉLIVRANCE 


Épuiser  l'ombre 

Avec  des  mains  profanes 

Si  j'atteins  le  fond  de  la  nuit 

Mon  existence  est  une  étoile 

Une  fatalité  d'or  blanc 

Ravivé  par  un  ciel  de  larmes. 

Comment  faire  pour  être  pure 

Et  dévorer  la  nuit  à  belles  dents 

Comme  une  louve  aux  yeux  de  biche 

Où  la  crainte  se  fait  lumière  et  profondeur. 

J'avais  une  maison 

Château  hanté  par  les  héros 

Morts  pour  la  poésie. 

l'avais  un  bel  enfant  un  bohémien 

Toujours  frété  pour  la  fugue  en  plein  vent 

Ses  yeux  enchantaient  les  chaumières 

Et  ravissaient  les  agneaux  par  amour. 

J'avais  une  forêt  à  grand  spectacle 

Effaçant  les  chagrins 

Avec  un  murmure  éternel. 

J'avais  une  misère  invisible  à  l'œil  nu. 
J'avais  un  univers  fermé 
Convoité  par  de  doux  prophètes. 

Et  maintenant  tout  est  brûlé  par  ce  bleu  fjxe_ 

Depuis  hier  depuis  toujours  depuis  que  j  aime 

J'ai  peur  de  moi  mon  visage  est  détruit 

Ma  solitude  est  un  désert  stérile 

J'ai  peur  de  moi  ma  misère  est  violée 

Te  fais  pitié  aux  animaux  sauvages 

Qui  se  cachent  de  l'homme  pour  souffrir 

Je  fais  pitié  l'amour  m'est  défendu. 

Je  n'aime  plus  personne.  J'aime. 


i8 


La  glycine  fleurit  deux  fois  dans  une  année 
Prêtez-moi  prêtez-moi  la  terre  et  la  rosée. 
J'entends  un  souffle  on  a  crié 
Épouse  l'ange  du  verger 
Avant  qu'il  n'ose  s'échapper. 
Délivrez-moi  délivrez-moi 
Fais-moi  l'aumône  au  nom  du  roi 
Nous  irons  dormir  dans  les  bois. 

Du  plus  lointain  pays  connu 
Le  chemineau  mon  frère 
Ramène  des  rivières 
Son  dos  soutient  la  vérité 
Son  cœur  raconte  des  prairies 
O  mines  saisonnières 
Où  le  vert  en  puissance 
Habite  sourdement. 

Épuiser  l'ombre 

Avec  des  mains  bénies 

Je  connais  le  fond  de  la  nuit 

Mon  existence  est  une  étoile 

Une  fatalité  d'or  vert 

Où  la  pureté  se  fait  chair. 

Je  prends  la  place  des  prairies. 

Ah!  que  la  terre  est  infinie! 


FÊTE 


Rien  ne  va  plus.  Tout  recommence. 
Chacun  prend  son  plaisir  où  il  le  pense. 
Les  garçons  font  leur  mise  avec  un  caramel 
Ils  ont  du  goût  pour  la  loterie 
De  Pierrette  qui  est  jolie  -      •  , 

Moi  je  veux  cavaler  vers  les  lampions  du  ciel 
Et  je  choisis  le  cheval  blanc 
Celui  qui  monte  et  qui  descend 
Pendant  que  la  planète  tourne! 

Quel  manège!  Quel  manège! 

Je  prends  mon  rang  dans  le  cortège 

Mon  petit  cœur  monte  et  descend 

Monte  et  descend  tout  en  tournant 

Un  vrai  bonheur  pas  de  la  frime 

Fallait  du  génie  pour  inventer  çà. 

Ah!  Il  la  connaissait  celui-là 

Là  la  technique  du  chavirement  sublime. 

Quel  manège!  Quel  manège! 
Quel  drôle  de  manège  à  croire 
Croire  aux  étoiles  de  la  foire. 
L'homme  qui  se  nourrit  de  feu 
Devient  une  fière  chandelle 

Des  taches  de  rousseur  tout  autour  de  ses  yeux 

Scintillent  comme  des  étincelles 

Et  le  ton  de  la  flamme^ 

Qui  descend  dans  mon  âme 

Monte  dans  ses  cheveux. 

Laissez-moi  croire  laissez-moi  croire 

Croire  aux  étoiles  de  la  foire 

C'est  l'athlète  qui  tient  le  monde 

Qui  tient  le  monde  à  bout  de  bras 

Elle  en  bave  la  grande  blonde 


20 


Ouvrant  des  yeux  comme  des  plats 
Hein  femme  du  petit  mari 

Qu'est-ce  que  t'en  dis?  Qu'est-ce  que  t'en  dis? 

C'est  la  danseuse  de  quinze  ans 

Qui  fit  l'amour  avec  le  vent 

Pour  avoir  les  hanches  légères. 

Posez  la  main  sur  votre  cœur 

Cher  Monsieur  l'Instituteur 

De  peur  qu'il  ne  s'envole 

L'autre  main  sur  votre  lorgnon 

Il  va  tomber  en  pâmoison 

Car  les  ailes  de  votre  nez 

Battent  un  peu  plus  qu'il  ne  le  faudrait. 

Pour  les  parents  pour  les  enfants 

Voici  le  clown  qu'on  attend 

Pour  les  parents  pour  les  enfants 

Qui  s'amusent  à  être  heureux 

Le  clown  avec  sa  pauvre  gueule  de  bois  mousseux 

Dont  il  fait  tout  ce  qu'il  veut. 

Qu'est-ce  qui  lui  prend?  Eh  bien  alors!  — 

Il  nous  fait  la  tête  de  mort. 

Quel  manège!  Quel  manège! 
Oh  la  belle  gueule  de  neige 
Histoire  d'en  fiche  un  gros  boum 
Le  clown  est  mort.  Vive  le  clown! 
Pleurez  pas  sur  lui  les  enfants 
Les  clowns  c'est  comme  les  autres  gens 
Et  comme  les  marionnettes 
Sur  la  planète 
Ils  font  font 

Trois  petits  tours  et  puis  s'en  vont. 
Vive  la  fille  aux  cuisses  nues! 

Et  la  vie  continue. 


3 


21 


JARDIN 


Jardin  je  t'ai  donné  la  forme  de  mon  cœur 
Et  je  t'emporte  dans  mon  rêve 
Au  sein  des  villes. 

En  pleine  neige 

Nous  nous  parlons  souvent  jardin 

De  capucine  folle  et  d'amours  au  jasmin. 

Savoir  pourquoi  les  murs  de  mon  jardin 

Sont  creusés  par  la  lune 

Dont  les  rayons  rongent  la  pierre 

Comme  la  pluie  comme  le  vent 

Et  comme  l'ombre  de  l'amour. 

Mon  jardin  mon  enfance  aux  prunelles  blessées 

Nos  deux  langues  unies  se  parleront  toujours 

De  notre  terre 

De  notre  chair. 

Où  croissait  l'immortelle 

A  côté  du  pavot  fragile. 

Dans  la  maison  que  mon  jardin  protège 
Dans  la  maison  vitrée  que  j'habite  la  nuit 
Au  fond  d'une  cachette  ouverte  par  la  lune 
Des  pavots  morts  j'ai  retrouvé  la  graine 
Mélangée  aux  fleurs  d'immortelle. 

Moi  pâle  j'ai  mangé  les  graines  merveilleuses 

Pour  éclairer  mes  joues 

A  la  couleur  de  leur  sang  généreux 

Et  faire  bon  visage  au  pauvre  que  j'assume. 

Mais  j'ai  fait  la  part  du  mystère 

N'osant  toucher  du  doigt  les  fleurs  les  immc 

De  peur  qu'elles  ne  tournent  en  poussière. 


22 


AOUT 


A  la  lueur  des  foins  coupés 

Dans  une  zone  de  parfum 

Je  me  délivre  d'un  chagrin 

D'  un  chagrin  pris  l'hiver  dernier 

A  force  d'avoir  trop  rêvé. 

Aujourd'hui  c'est  l'azur  je  retourne  à  la  vie 

Avec  un  cœur  trop  grand  pour  un  corps  fatigué. 

Mais  je  crois  si  passionnément  en  l'été! 

Les  insectes  chanteurs  couronnent  la  montagne 

Bonjour  à  toi  bonjour  à  ma  compagne 

Beau  ciel  nous  allons  comprendre  les  fleurs. 

Je  me  confonds  avec  la  reine 

Où  la  bergère  c'est  la  même 

Fille  étoilée  porte  ouverte  sur  la  candeur. 

Il  fait  un  paradis  profond 

A  croire  tous  les  hommes  morts. 

Je  partage  avec  les  miroirs 
Les  fontaines  et  les  rivières 
Le  droit  d'épouser  la  lumière 
Avant  que  ne  tombe  le  soir. 

Je  ne  suis  pas  de  ce  vent  dur 

Où  vit  la  feuille  sans  repos. 

Je  ne  suis  pas  de  ce  désert 

Où  l'âme  ne  fleurit  jamais 

Faute  d'eau  fraîche  à  sa  racine. 

Je  ne  suis  pas  de  ce  vieux  monde 

Où  les  fous  saignent  les  colombes 

Sans  écouter  battre  leur  cœur. 

Je  suis  de  ce  soleil  je  suis  de  ce  village 

Je  suis  de  ce  grand  feu  fécond. 

Laissez-moi  vivre  à  ma  façon! 


23 


SUITE 
FORESTIÈRE 


L'ENFANT  DU  DRUIDE 


L'enfant  du  druide  ouvrit  les  vannes  du  silence 

Un  chant  se  répandit  longtemps 

L'eau  le  sang  le  feu 

Les  trois  dans  la  forêt 

Pour  bâtir  un  palais  d'automne. 

Un  grand  secret  faisait  la  roue  sur  le  parvis 
D'un  clair  obscur  jaillit  la  fleur  miraculeuse 
Le  double  de  la  pierre  philosophale. 
L'enfant  faisait  la  chasse  à  la  folie 
Il  délivrait  des  plages  de  cristal 
Sous  un  vieux  chêne  inconsolable. 

La  clé  la  clé  disait  mon  compagnon 
Cet  enfant  la  chantait 

Gomment  n'avons-nous  pas  dérobé  son  empreinte 
Nous  qui  savons  porter  si  haut 
De  très  favorables  oiseaux. 

Mais  j'entendais  la  clé  couler  au  fond  de  moi 

Avec  un  bruit  d'aile  blessée 

Le  goût  du  jour  s'organisait  dans  la  feuillée 

Tandis  qu'une  salve  d'automnes 

Fusait  de  tous  les  points  du  bois. 

Lui  sur  le  seuil  insultant  l'or 

Et  dépouillé  de  sa  tunique  de  bruyère 

L'enfant  du  druide 

Écartelait  des  roses  forestières. 


29 


SI  JE  PLANTE.. 


Si  je  plante  ma  langue  en  terre 
Lèveront  de  grands  lys  de  feu 
Ce  sont  les  cierges  que  Ton  veut 
Dans  les  chapelles  forestières. 

N'approchez  pas  c'est  le  royaume 
Où  les  soldats  sont  désarmés 
La  femme  marche  sur  la  tête 
Sous  les  tilleuls  en  or  parfait. 

Laissez  vos  montres  à  la  porte 

Vos  ongles  à  la  pierre  forte 

Montez  les  marches  du  palais 

Un  peu  plus  haut  que  la  poussière 

Où  la  fille  aux  cheveux  de  Un 

Distribue  le  pain  quotidien 

Les   yeux  fermés   sur   son  destin. 

Les  loups  ont  bu  l'eau  des  rivières 

Ils  feront  gorge  de  velours 

Ils  épouseront  la  bergère 

Sur  la  terrasse  de  la  tour 

Mais  les  enfants  qui  naîtront  d'elle 

Auront  des  anges  dans  les  yeux. 

Le  drapeau  de  la  citadelle 
Avait  été  passé  au  bleu. 


V ; 


LA  FILLE  EN  TROIS 


Une  colombe  bleue  s'éveille  entre  mes  bras 
Miracle  découvert  je  suis  avec  les  anges 
Au  fond  d'un  pays  vert  où  j'ai  toujours  vécu 
Dans  la  chaleur  numide  et  ronde  des  rébus 
Où  le  muguet  fleurit  au  bord  de  l'Alkékenge. 

La  fille  en  croix  sur  une  ville 
Comment  vis-tu  sans  mes  oiseaux 
Et  mes  enfants  de  verte  peau 
Et  sans  mes  ombres  sauvagines? 

La  fille  en  croix  sur  ma  prison 
Si  je  t'avais  donné  raison 
L'enfant  du  druide  aurait  chanté 
Un  autre  lieu  de  la  forêt. 

L'eau  le  sang  et  le  feu  triangle  de  lumière 

J'ai  retrouvé  les  noms  de  la  source  première 

Où  l'ombre  chassait  l'ombre  en  abreuvant  les  loupe 

Et  j'éclate  de  rire  avec  les  oiseaux  fous. 

Quand  mon  poignet  respire  avec  un  bruit  de  flamme 
Je  laisse  aller  ma  main  vers  le  secret  des  pluies 
Pour  abolir  le  jeu  sanglant  dont  il  gémit 
Et  regagner  de  peu  cette  saison  de  l'âme. 

Mais  l'épouse  du  vent  se  cache  dans  mon  cœur 
Voulant  vivre  de  chair  l'heure  que  je  lui  prête 
Ah!  vivre  vivre  vivre  à  bouche  satisfaite 
L'âge  de  la  forêt  qui  traverse  mon  cœur. 


31 


Voici  la  lampe  vénéneuse 
Et  la  géographie  du  ciel 
Voici  la  terre  que  je  creuse 
Et  nous  sombrons  dans  un  soleil 
Plus  vert  que  le  vert  éternel. 

Un  astre  végétal  se  lève 
La  fable  germe  dans  mes  yeux 
Pourtant  la  colombe  est  mon  rêve 
Et  le  feuillage  est  pour  nous  deux. 

Le  bleu  et  le  vert  se  mélangent 
Aux  frontières  de  nos  bonheurs 
La  colombe  me  fait  un  ange 
Et  je  lui  prête  ma  ferveur. 

Mais  la  troisième  que  je  suis 
La  fille  en  croix  sur  son  Paris 
L'enfant  du  druide  la  maudit. 

Patience  il  faudra  bien  qu'elle  revienne  au  jour 
Patience  il  faudra  bien  qu'elle  prenne  son  tour 
Parce  qu'il  y  a  l'eau  et  le  sang  et  le  feu 
Et  qu'il  y  a  le  vert  et  qu'il  y  a  le  bleu 
Et  parce  que  je  crois  au  Merveilleux. 


32 


CHANT  DE  L'EAU 


Chêne  qui  manges  la  terre 
En  buvant  la  paix  du  ciel 
Comme  ton  ombre  est  légère 
Sur  mes  lèvres  sans  sommeil 
Ta  fraîcheur  abrite  un  monde 
Qui  mûrira  bien  un  jour 
Mais  qu'il  attende  son  tour. 

C'est  ici  que  l'eau  fragile 
Prend  racine  pour  fleurir 
Loin  là-bas  vers  l'espérance 
En  un  grand  bleu  tout  exil 
Attendu  depuis  l'enfance. 

Visage  éclatant  du  songe 
Né  d'une  clairière  en  fleurs 
Et  du  trop  de  ma  ferveur 
A  l'auberge  des  rousseurs 

Visage  éclatant  du  songe 
Emprunté  par  un  enfant 
Qui  dit  l'eau  le  feu  le  sang 
De  la  source  à  l'océan 

Ta  bouche  est  une  fontaine 
Où  la  chute  d'un  oiseau 
Où  la  traque  d'un  blaireau 
Et  le  frisson  d'une  reine 
Composent  un  feu  nouveau. 

Avec  moi  l'écume  rousse 
Qui  bouillonne  au  fond  des  bois 
Avec  moi  l'ombre  et  la  mousse 
Qu'on  écrase  entre  les  doigts 


Avec  moi  la  faune  ardente 
Et  sa  blessure  éternelle 
Avec  moi  le  goût  du  miel 
Qui  s'écoule  vers  le  ciel! 

Enfant  du  druide  mon  frère 

Dans  la  houle  forestière 

Où  tu  prends  visage  humain 

Je  partage  ton  chagrin 

De   savoir   que   tant   de  chênes 

Ici  ne  croient  plus  à  rien. 

Forêt  forêt  belle  histoire 

Si  je  creuse  ta  mémoire 

J'y  découvre  mon  amour 

Car  c'est  toujours  lui  qui  gagne. 

Les  filles  à  la  fontaine 
Pleurent  toujours  un  soldat 
Qui  s'en  est  allé  là-bas 
Manger  la  terre  lointaine. 

Le  vent  crache  des  cigales. 
Ruiner  les  sources  du  sang 
J'en  appelle  à  mon  étoile 
Elle  dit  comme  l'enfant 
Ne  pas  compter  les  années 
Revenir  à  l'eau  sacrée 
Il  faut  répandre  son  chant. 

Je  galope  avec  l'eau  claire 
Jusqu'aux  limites  du  sang 
J'envahis  la  chair  entière 
De  la  source  à  l'océan. 

Dire  simplement  lumière 
Et  l'eau  règne  sur  le  temps. 


CHANT  DU  SANG 


Belle  histoire  de  mon  ombre 
Qui  soulève  un  clair  ardent 
Puisque  les  fontaines  blondes 
Font  l'amour  avec  le  temps 
J'épouserais  bien  le  monde 
Si  j'avais  la  clef  du  sang. 

Rivière  rouge  du  jour 
Couleur  de  colombe  fraîche 
Tourne  autour  ah!  tourne  autour 
De  l'histoire  que  je  cherche 
Depuis  qu'il  fait  sans  amour. 

La  lampe  des  vierges  sages 
Veille  encore  au  fond  des  bois 
Mais  quand  le  vent  soufflera 
Cavaliers  croyez-vous  pas?... 

L'homme  creux  chante  misère 
Sous  les  marronniers  éteints 
Jamais  plus  fête  première 
Jamais  plus  l'herbe  en  satin 
Jamais  plus  l'herbe  à  mourir 
Premier  baiser  sur  le  ciel 
Premier  baiser  sur  la  terre 
Terre  et  ciel  comme  en  avril 
La  merveille  d'un  exil 
Où  les  larmes  sont  dorées 
La  première  bien-aimée 


Jamais  plus  comme  en  avril 
Jamais  plus  l'herbe  en  satin 
Toujours  la  seconde  aimée 
Sur  la  marche  des  matins. 

L'homme  creux  chante  misère 
Retrouver  l'herbe  en  satin 
Sous  l'aile  d'un  vieux  jardin 
Vierge  folle  vierge  sage 
Qui  promène  une  lumière 
A  faire  échec  aux  nuages 
Vierge  folle  vierge  sage 
Couronnée  d'oiseaux  dormants 
Qui  sanglotent  dans  le  vent. 

Le  vent  crache  des  cigales. 
Ruiner  les  sources  du  sang 
J'en  appelle  à  mon  étoile 
Elle  dit  comme  l'enfant 
Jure  jure  par  le  sang 
Il  faut  vivre  avec  son  chant 
Par  l'eau  le  feu  et  le  sang. 

Le  vent  crache  des  cigales 
Changer  le  signe  du  sang 
Je  veux  suivre  la  rafale 
Et  sombrer  au  fond  du  temps. 

Une  chute  sur  la  mousse 
Un  galop  de  siècles  fous 
Une  rabine  très  douce. 
Un  peu  d'écume  aux  genoux. 

Toute  la  lumière  bouge 
Que  murmurait  la  forêt 
Toute  une  rivière  rouge 
Pour  dissoudre  les  muguets. 
Dire  baptiser  la  terre 
Dire  simplement  lumière 
Dire  les  bois  sont  bénis 
Terre  et  ciel  ô  paradis! 


Dans  la  forêt  des  colombes 
Au  sein  des  fontaines  blondes 
L'enfant  du  druide  baptise 
Les  cavaliers  repentants 
Belle  histoire  de  mon  ombre 
J'épouserais  bien  le  monde 
Si  j'avais  la  clef  du  sang! 


CHANT  DU  FEU 


Qu'il  règne  et  que  tout  repose 
Au  milieu  de  son  anneau 
Qu'il  reproduise  les  roses 
Qu'il  épuise  le  ruisseau 
Et  qu'il  dresse  une  couronne 
A  la  fille  monotone 
Toute  seule  en  son  miroir! 
Qu'il  dévore  le  brouillard 
Qu'il  éclate  dans  le  soir 
Avec  les  bouches  plénières 
Des  fous  et  des  messagères. 

Le  feu  monte    adieu  la  terre 
Bonjour  la  terre  et  le  ciel 
Le  feu  monte  et  la  clairière 
Fait  un  pacte  avec  le  ciel. 

Sous  les  feuilles  à  venir 
Sur  la  rive  d'un  sourire 
Dans  l'haleine  d'un  chevreuil 
Sous  la  ronce  ou  le  tilleul 
Sous  l'aile  d'un  vieux  jardin 
Recouvrant  l'herbe  en  satin 
Sur  la  lèvre  et  dans  la  main. 
Dans  la  sève  et  dans  le  fruit 
Dans  la  source  et  dans  le  puits 
Le  feu  dorlote  son  cri. 

Qu'il  habite  la  clairière 
Qu'il  éclate  et  que  tout  soit 
Que  le  loup  sorte  du  bois 
Qu'on  en  finisse  avec  ça 
Filles  saluez  le  roi! 


Très  au  large  de  l'automne 
Un  navire  de  feuillage 
Embarque  un  oiseau  blessé 
Pour  une  île  sans  nuage 
Clairière  douce  à  la  main 
La  clairière  est  une  orange 
Qui  fume  dans  le  matin 
Que  tout  se  livre  en  son  fruit 
Selon  l'abeille  et  le  cri. 

Le  feu  raconte  des  choses 
L'enfant  du  druide  le  sait 
Le  feu  fait  chanter  les  roses 
Qu'il  règne  et  que  tout  repose 
Au  milieu  de  son  secret. 

Qu'il  règne  et  que  tout  soit  blanc 
Feu  sur  l'eau  et  sur  le  sang. 


TERRE  ET  CIEL 


I 

u 


I 


L'UN 


Petite  brute  forestière 
Crucifiée  sur  un  lit  d'espoir 
Tu  te  balances  en  ton  brouillard 
Tu  resonges  la  main  du  vent 
Et  la  langue  de  la  rivière 
Glissée  sous  tes  robes  d'enfants. 

La  blancheur  est  plus  douloureuse 
Que  la  blessure  qu'on  attend 
Avec  un  cœur  battant  battant 
Comme  un  visage  d'amoureuse 
Un  visage  battant  des  ailes 
Toujours  la  même  ritournelle 
Des  filles  qui  n'ont  pas  le  temps 
Le  temps  de  vivre  lentement. 

Ah!  faites-moi  saigner  pour  l'amour  de  l'amour 
Délivrez-moi  du  cri  qui  tourne  dans  sa  cage 
Délivrez-moi  du  rêve  enfermé  dans  sa  tour 
Délivrez-moi  du  sang  glacé  des  vierges  sages 
Qu'il  bouge  de  sa  nuit  et  passe  dans  le  jour 
Et  fleuriront  les  pavots  lourds 
Sur  le  granit  dur  de  la  chambre 
En  pleine  brume  de  novembre 
Pour  faire  mine  de  toujours. 

Dehors  dedans  haut  vers  la  nuit  très  loin  de  tout 
Le  cœur  de  lui  le  cœur  de  moi  le  cœur  de  nous 
Et  le  cœur  de  la  mer  et  le  cœur  de  l'horloge 
Chacun  selon  son  corps  mais  pour  la  même  forge 
Battaient  brûlaient  fallait-il  se  mettre  à  genoux 

Un  goût  d'astre  éclaté  me  prenait  à  la  gorge. 


45 


Mais  aux  frontières  du  beau  crime 
C'est  la  peur  du  sang  répandu 
Les  vieux  remords  qu'on  avait  tus 
Gardent  la  porte  de  l'abîme. 

Il  disait  Bilitis  ton  corps  d'oiseau  limpide 
Ta  chair  de  lait  tes  seins  de  faon 
Sont  des  miroirs  trop  menaçants 
Pour  que  je  sombre  dans  le  vide 
Les  yeux  fermés  le  cœur  tranchant 
Comme  un  barbare  au  front  dément. 
Il  disait  Bilitis  et  s'écartait  de  moi 
Et  je  me  remettais  à  connaître  le  froid 
Il  disait  Bilitis  et  s'écartait  de  moi 
Je  n'ai  pu  traverser  ta  vie 
Ton  enfance  était  trop  jolie 
Pour  la  briser  entre  mes  doigts. 


46 


L'AUTRE 


A  force  de  crier  vagabond  vagabond 

Ce  fut  lin  le  premier 

L'homme  aux  cheveux  brouillés 

Qui  traverse  ma  vie 

Avec  sa  grande  grimace  de  folie 

Respirée  par  mes  mains  glissant  contre  son  front. 

D'étranges  trains  sifflaient  dans  son  crâne  de  fauve 
Et  les  vieux  clowns  d'argent  qui  nageaient  dans  son  sang 
S'en  prenaient  à  mon  cœur  ouvert  à  tous  battants 
A  vol  doux  et  feutré 
Pour  ne  pas  m'effrayer. 

Il  me  disait  avoir  tant  de  millions  de  fois 
Jeté  sa  vie  en  l'air 
Et  par  dessus  les  toits 

Les  deux  jambes  nouées  sur  un  agneau  de  fer 

Il  me  disait  avoir  jeté  sa  vie  en  l'air 

Pour  aller  regarder  dans  les  yeux  les  étoiles 

Il  disait  que  cela 

Ne  lui  avait  jamais  fait  mal. 

L'homme  savait  comment  s'endorment  les  cités 
Le  bras  contre  la  joue  et  le  ventre  aux  nuages 
Le  trottoir  à  l'amour  la  fenêtre  aux  voyages 
Le  kiosque  aux  anges  doux 
La  cathédrale  aux  fous 
La  poche  à  la  fortune 
Et  le  crime  à  la  lune. 

L'homme  savait  comment  se  couvre  la  misère 
Avec  un  corps  battu  et  des  cuisses  d'airain 
L'homme  savait  comment  se  mange  le  bon  pain 
Comment  germe  le  feu  sous  le  poids  des  paupières 
Comment  font  les  bateaux  pour  aimer  les  rivières 


47 


Comment  rêvent  les  bêtes 
Après  les  cavalcades 
Comment  saignent  les  fêtes 
Aux  paumes  des  nomades. 

Il  entendait  la  neige  et  savait  le  soleil 
Il  épuisait  les  fleurs  et  les  abeilles 
Il  avait  mesuré  le  souffle  heureux  des  foules 
Quand  il  le  soutenait  sur  les  marches  du  ciel. 

Il  avait  épousé  ses  compagnons  de  jeux 
Il  avait  fait  danser  Tours  et  les  oiseaux  bleus 
Il  avait  renversé  l'ombre  des  colombines 
Mais  il  ne  savait  pas  la  saveur  de  Phermine. 
Quand  il  m'a  demandé  à  genoux  dans  la  nuit 
Le  droit  le  droit  d'aller  tout  au  fond  de  mon  cri 
Pourquoi  n'aurais- je  pas  dit  oui? 

Vrai  j'ai  voulu  courir  jusqu'au  bout  des  chansons 

Répétées  par  la  fille  aux  quatre  coins  des  ondes 

Vrai  j'ai  voulu  jouer  le  petit  tour  du  monde 

Avec  un  chasseur  roux  qui  sentait  la  prison. 

Il  me  donna  de  lui 

Son  nom  et  son  pays 

Un  défendu  pays  lointain 

Où  filles  et  garçons  s'éveillent  le  matin 

Avec  des  croissants  bleus  tatoués  sur  les  reins 

Un  pays  qui  jadis  fut  peut-être  le  mien 

Il  n'avait  pas  la  voix  de  mon  amour 

Mais  il  avait  le  front  de  la  plus  haute  tour. 

J'ai  crié  sur  la  nuit 
J'ai  crié  sur  la  vie 

J'ai  crié  sur  la  nuit  sur  les  cris  sur  la  vie 

Pendant  que  des  muguets  blanchissaient  sur  Paris. 

Et  dire  que  cela  se  fit 
Ce  jour  limpide  où  sur  Paris 
Les  forêts  transhumées 
Et  cela  par  amour 

Vendaient  du  bonheur  blanc  à  chaque  carrefour. 


48 


CONTE  EN  SEPT 


La  raison  plus  froide  que  la  mort 

Le  plus  beau  monstre  inventé  par  les  hommes 

Ah!  je  lui  brûlerai  la  tête  moi 

Sept  fois. 

Cette  fille  naïve  avait  un  cœur  trop  grand 

Pour  la  portion  de  corps 

Dont  ses  parents  l'avaient  dotée 

Quand  elle  ouvrait  la  main 

Quand  elle  ouvrait  la  bouche 

Quand  elle  abandonnait  son  front 

Quand  elle  aimait  l'oiseau 

Quand  elle  disait  l'eau 

Il  débordait  toujours  de  toute  sa  lumière 

Il  voulait  battre  et  luire  à  ciel  ouvert 

Comme  un  baiser  vivant 

Il  voulait  connaître  le  vent 

La  caresse  des  buissons  frais 

La  joue  des  lys  contre  la  sienne 

Le  piquant  de  chaque  saison 

Parfois  il  ronronnait  sur  son  épaule 

Offerte  nue  à  la  peine  penchée  du  saule. 

Cette  aveugle  que  j'aide  à  vivre 

En  lui  racontant  des  fontaines 

Où  les  bergers  jettent  leur  cœur 

En  lui  fabriquant  des  rengaines 

Où  le  refrain  tourne  au  bonheur 

Cette  fille  ma  sœur  que  j'aime  mieux  que  moi 

Laissez-la  croire  au  fils  du  roi 

Mis  au  monde  par  une  hermine 

Laissez-la  donc  jouer  sa  pantomime 

Laissez-la  croire  à  sa  beauté 

Cela  ne  fera  pas  de  mal 

A  vos  cités. 


Sans  miroir 

La  plus  laide  est  toujours  jolie 
Un  espoir 

La  plus  pauvre  est  enfin  ravie 
Cœur  sur  la  main  cœur  sur  les  lèvres 
Cœur  en  plein  jour  cœur  en  plein  rêve 
Sept  centimètres  de  soie  rouge  à  dépasser 
Aux  limites  de  tous  manteaux. 

Richesse  à  toi  fille  des  brumes 

Si  tu  veux  parader  au  cirque 

Avec  les  blancs  chasseurs  de  lune 

Des  gros  sous  tout  ronds  en  image 

Si  tu  fais  bien  rire  les  sages. 

Ne  riez  pas  de  moi  méchants 

Ou  je  fais  feu  sur  le  fond  grimaçant 

Que  vous  avez  coulé 

Dans  le  regard  de  vos  enfants. 

La  fête  est  au  village 

On  me  montre  du  doigt 

La  mort  est  aux  visages 

Je  grimpe  sur  le  toit 

Je  sors  de  dessous  mes  paupières 

Je  fais  montre  de  ma  lumière. 

Une  carte  un  soleil  un  amour  et  ma  chance 
Je  suis  reine  et  j'ai  gagné  d'avance 
Premier  coup  as  de  cœur  un  grain  de  feu 
J'abats  la  carte  révélée  par  la  gitane 
Pour  deux  et  trois  je  jette  le  mois  d'août 
Avec  son  blé  brûlant 
Et  puis  je  crache  un  lion 
Sa  crinière  toute  allumée 
Gagné  je  vois  le  signe  de  fumée 
Quatre  pour  rien  Cinq  mon  amour 
Six  je  lance  mon  corps  sa  chaleur 
Puisque  c'est  son  tour 

Sept  c'est  le  dernier  coup  le  nombre  sort  du  rang 


50 


Il  tombe  tombe  avec  son  feu  fervent 

Brûlé  le  mort  est  mort 

Qui  vivait  depuis  sept  cents  ans 

Des  yeux  candides  lèvent  dans  la  cendre 

Comme  des  roses  de  décembre. 

J'ai  gagné  j'ai  brûlé  la  sève  des  savants 

Tous  mes  sujets  vont  vivre  avec  un  cœur  trop  grand. 


51 


DE  MA  VIE. 


De  ma  vie  je  n'ai  jamais  vu 
Plus  beau  visage  que  sa  voix 
Ses  yeux  portent  Pâme  des  eaux 
Blessés  à  mort  depuis  des  siècles 
Par  le  silence  des  grands  bois 
Son  front  descend  de  la  lumière 
Comme  FÉgypte  du  mystère 
Et  sa  bouche  a  juste  le  poids 
Le  poids  terrible  du  bonheur 
Que  pouvait  supporter  mon  cœur. 

S'il  avait  fait  glisser  sa  voix 
Dans  les  yeux  graves  de  mes  paumes 
Nous  aurions  vu  ce  vieux  royaume 
Que  l'amour  épèle  tout  bas. 

C'est  ici  qu'il  faut  parler  d'elle 
La  maison  des  oiseaux  parfaits 
La  merveille  où  toutes  les  ailes 
Peuvent  s'ouvrir  sur  leur  secret. 

J'entends  sonner  la  cloche  rouge 
De  ce  rouge  extraordinaire 
Dont  l'ombre  saigne  sur  la  terre 
La  cloche  à  marier  les  dieux 
Le  fruit  qu'on  mange  avec  les  yeux 

Il  n'y  a  pas  d'amour  heureux. 

De  ma  vie  je  n'ai  jamais  vu 
Plus  beau  visage  que  sa  voix 
Plus  beau  visage  mis  à  nu 
Par  le  silence  de  mes  doigts. 


ANAËL 


A  Annette  Valet. 

Anne  dis  ma  sœur  Anne 
Ne  vois-tu  rien  venir 

Faudra-t-il  donc  toujours  écraser  mes  soupirs 
Entre  mes  dents  glacées  qui  mordent  les  fruits  d'or 
Arrachés  au  sommeil  arrachés  à  la  mort 
Arrachés  aux  enfants  qui  donnent  sur  le  songe 
Arrachés  aux  pommiers  que  la  lumière  ronge. 

Je  t'ai  donné  la  clé  pour  ouvrir  les  oiseaux 

Je  t'ai  donné  la  clé  c'est  bien  plus  qu'il  n'en  faut 

Pour  aller  me  chercher  la  pierre  du  trésor 

Que  le  roi  sans  couronne  a  cachée  dans  son  corps 

A  cachée  dans  son  ventre 

Ah!  le  cheval  sans  mors 

Paissant  la  sève  ardente 

Qui  donne  au  sang  couleur  et  forme  d'amarante. 

Un  même  ange  demeure  en  ton  nom  et  le  mien 
Ses  ailes  devenues  et  tes  bras  et  les  miens 
Il  nous  aide  à  porter  le  petit  quotidien 
Anaël  Anaël  et  sa  peau  de  satin 
Caresse  nos  cheveux  endormis  dans  ses  mains 
Anaël  Anaël  Anaël  et  plus  rien. 

Anne  dis  ma  sœur  Anne 
Ne  vois-tu  rien  venir 

Les  oiseaux  les  oiseaux  volent  vers  le  plaisir 
J'appelle  un  homme  blanc  peuplé  de  grands  voyages 
Une  croix  sur  l'épaule  un  amour  au  visage 
Un  homme  à  tête  d'homme  un  homme  à  tête  d'ange 
Qui  connaîtrait  la  loi  sublime  des  mélanges. 

Anne  dis  ma  sœur  Anne 
Ne  vois-tu  rien  venir 

Je  ne  veux  pas  je  ne  veux  pas  je  ne  veux  pas  mourir. 

53 

s 


PARTIR 


Quitter  les  roseaux  pour  les  orangers 
La  foire  aux  amis  pour  un  étranger 
Quitter  la  forêt  pour  la  plaine 
Quitter  la  chanson  pour  la  peine 
Quitter  le  raisin  pour  la  pomme 
Quitter  le  galop  pour  la  somme 
Quitter  la  mer  pour  la  rivière 
Quitter  l'œillet  pour  la  bruyère 
Et  la  rose  pour  la  fougère 
Oublier  le  pain  sur  la  table 
Retrouver  sa  joue  sur  le  sable 
Quitter  la  mare  aux  souvenirs 
Se  quitter  pour  se  revenir. 
Changer  de  peau  changer  de  rêve 
Pour  que  l'œuvre  d'âme  s'achève. 

La  fille  devenue  l'aile  la  plus  légère 
Se  cherche  dans  le  sens  des  houles  printanières 
Puis  sombre  dans  la  neige  avant  d'avoir  vécu 
Le  trop  des  orangers  que  les  autres  ont  bu. 

Là-bas,  c'est  le  meilleur  ici  les  fleurs  quand  même 
Rien  n'est  perdu  quand  l'amour  sème. 
Vous  baisers  suicidés  vous  n'empêcherez  pas 
Que  le  cœur  des  enfants  fleurisse  sous  vos  pas. 
Fille!  monte  et  descends  du  nuage  à  la  pierre 
Comme  il  fait  bon  mourir  pour  vivre  sa  prière! 

Quitter  le  soleil  pour  la  neige 

Et  la  neige  pour  le  soleil. 

Trouver  le  monde  au  bout  du  monde 

Où  le  château  des  vagabondes 

Demeure  fondé  sur  le  ciel 

Un  peu  plus  haut  que  le  soleil. 


DANS  MA  MAIN 


Dans  ma  main  les  saisons 

La  couleur  du  soleil  la  couleur  de  la  neige 

Les  yeux  fermés 

Quel  beau  spectacle  à  caresser 

Jamais  plus  les  yeux  dans  les  yeux 

Mais  le  plaisir  de  la  main  reine 

A  la  mesure  de  sa  chair. 

Qu'elle  aille  son  chemin  tout  autour  de  la  terre 

Le  corps  suivra 

Ce  chien  fidèle  à  qui  voudra 

Le  corps  suivra 

Bouche  ouverte  et  membres  en  croix. 

Le  paysage  ailé  que  je  saisis  au  vol 
Se  mire  dans  ma  paume  et  voile  ma  misère 
Se  jette  dans  mon  sang  la  tête  la  première 
Bel  oiseau  végétal  planant  au  ras  du  sol 
Bel  oiseau  feras-tu  ma  peine  plus  légère. 

Je  prends  part  au  printemps  à  l'automne  à  l'hiver 
Je  prends  part  à  l'été  main  posée  sur  le  monde 
Je  bénis  et  je  prends  et  ma  fièvre  féconde 
Se  mêle  au  vin  puissant  qui  couve  dans  le  vert. 

Dans  ma  main  le  doux  col  du  saule 
Car  c'est  l'arbre  que  j'ai  conquis 
Dans  ma  main  le  plomb  de  midi 
Et  «  chien  et  loup  »  mon  heur  y  rôde 
Plus  longtemps  que  Dieu  ne  l'a  dit 
Dans  ma  main  l'ombre  s'épaissit 
La  chair  comprend  que  le  temps  fuit 
Au  poids  du  jour  et  de  la  nuit. 


Apprivoisons  ma  main  le  trouble  de  la  brume 
Puisqu'il  habille  tous  mes  fruits 
Apprivoisons  ma  main  le  double  de  la  lune 
Tant  qu'il  sommeille  au  fond  du  puits. 

La  main  la  main  qui  sait  se  tendre 
Est  un  cadran  de  pierre  tendre 
J'y  lis  les  saisons  et  les  jours 
Les  heures  tout  cela  qui  court 
Mais  c'est  la  pâte  du  toujours. 
Cueillir  bâtir  la  même  histoire 
Le  beau  château  de  la  mémoire 
Les  yeux  fermés  je  l'ai  construit 
Pour  qu'on  y  loge  mes  amis. 


56 


SOLEIL 


On  avait  oublié  le  soleil 

Sa  langue  d'or 

Sa  langue  vive 

Il  fallut  la  rapprendre 

Comme  à  marcher  après  des  mois  de  lit 

On  avait  oublié  le  signe  de  son  cri. 

Or  je  reçus  la  langue  du  grand  roi 

Juste  au  moment  qu'il  me  chanta  ; 

«  Dieu  quelle  absence  au  pays  d'où  je  viens 

On  n'y  épouse  pas  le  blé 

Ni  l'abandon  des  foins  coupés 

Ni  la  rondeur  des  fruits 

Ni  la  gorge  des  puits 

Ni  le  cœur  des  amantes 

Ni  la  douceur  ni  la  tourmente 

Non  plus  le  vent  à  tête  d'homme 

Qui  sépare  et  rassemble 

Non  plus  le  jeu  d'ailes  du  tremble 

Non  plus  le  lac  après  la  lune 

Non  plus  la  rose  de  chacune 

Offerte  sur  la  plage 

Non  plus  la  peine  et  la  joie  des  visages 

Je  te  le  dis  car  nous  nous  aimons  bien 

Je  te  le  dis  mais  ne  crains  rien 

Quand  il  sera  venu  pour  toi 

Le  temps  de  l'autre  vie 

Je  te  reprendrai  à  mon  compte 

Ma  chérie 

Avec  le  double  de  la  terre  et  sa  fraîcheur 
Entre  mes  bras 
Et  tu  vivras 
N'aie  pas  peur 
Tu  vivras.  » 


ê 


PLUIE 


Là  contre  ma  maison 

Tous  les  oiseaux  qui  m'ont  connue  depuis  l'enfance 
Gémissent  lentement  comme  un  seul  désespoir 
C'est  la  complainte  des  brouillards 
Le  jardin  qui  dansait  autour  de  mes  murailles 
S'est  allongé  dans  l'ombre  avec  sa  peine  grasse 
Et  cet  épais  regret  des  beaux  soleils  stridents 
Qui  pénétraient  nos  terres  de  vacances. 

Il  ne  fait  plus  du  tout  de  cœur 
Il  ne  fait  plus  du  tout  de  fleur 
Même  la  rose  du  silence 
Est  dépouillée  de  ses  couleurs. 

La  pluie  ne  permet  plus  que  les  lampes  respirent 
Et  des  gestes  d'adieux  jaillissent  de  partout 
Et  les  enfants  n'entendent  plus  les  fous 
Qui  parlaient  bouche  close  et  c'est  cela  le  pire. 

Mais  moi  je  rongerai  cette  eau  longue  du  ciel 

Jusqu'à  sa  racine  dernière 

Vrai,  mon  jardin  en  reviendra. 

Et  dans  quelque  secrète  allée 

Ah!  le  soleil  me  couvrira 

Comme  un  roi,  comme  un  roi, 

Comme  un  roi  généreux  sa  biche  préférée. 


58 


TREMBLE 


L'arbre  que  j'aime  est  contre  moi 
Il  me  permet  tous  les  baisers 
Que  je  n'ai  jamais  pu  donner 
Aux  hommes  venus  dans  mes  bras. 
Nous  avons  dû  dormir  ensemble 
Mon  âme  et  l'âme  de  ce  tremble 
Si  loin  si  loin  qu'il  ne  sait  plus 
Le  grand  amour  qu'il  avait  eu. 
Seule  j'ai  quelque  souvenance 
De  la  singulière  romance. 
Mon  Dieu  faites  qu'il  se  rappelle 
Faites  sa  mémoire  fidèle! 

Mais  le  vent  souffle  et  l'arbre  bouge 
Et  sa  voix  passe  dans  mon  sang 
Elle  a  la  forme  du  printemps 
Et  sa  couleur  est  la  lumière 
Et  sa  caresse  est  la  rivière. 
Présence  humide  de  l'amour 
Chapelle  ardente  des  toujours 
Souvenir  clair  comme  le  jour 
Fleuri  sur  la  terre  promise 
Grâce  au  manège  de  la  brise. 

La  pulpe  de  ma  joue  et  l'ombre  de  mes  yeux 

Et  cet  espèce  de  cœur  fabuleux 

Qui  palpite  au  fond  de  mon  sexe 

Glissent  vers  une  autre  planète 

Quand  ils  se  prennent  à  songer 

A  cette  saison  sans  péché 

Dont  avaient  parlé  les  prophètes 

A  ce  destin  de  l'arbre  à  feu 

Où  le  miracle  de  son  corps 

Glorieux 

Osera  bruire  à  la  droite 
De  Dieu. 

59 


ELLE 


Elle  avait  un  chat  noir  un  cheval  un  bon  chien 
Elle  allumait  son  feu  elle  cuisait  son  pain 
Elle  allait  à  l'église  aussi  tous  les  matins 
Elle  avait  le  roi  même  à  portée  de  sa  main 
Elle  avait  un  verger  qui  donnait  tous  les  fruits 
Elle  faisait  son  bien  du  jour  et  de  la  nuit 
Ses  semaines  avaient  toujours  quatre  jeudis 
Et  les  gens  très  bien  renseignés 
Aimaient  beaucoup  à  raconter 
Qu'elle  était  la  plus  belle  forme  de  l'amour. 

Mais  pourtant  je  le  sais 
Elle  aurait  tout  donné 
Pour  partir  de  l'autre  côté. 


60 


LUI 


Il  se  passait  de  chat  de  cheval  et  de  chien 
Il  se  passait  de  feu  il  se  passait  de  pain 
Il  se  passait  de  fleurs  il  se  passait  de  fruits 
Il  se  passait  de  jour  il  se  passait  de  nuit 
Il  se  passait  de  rire  il  se  passait  de  larme 
Il  se  passait   d'église  il  se  passait  de  femme 
Mais  les  gens  très  bien  renseignés 
Aimaient  beaucoup  à  raconter 
Qu'il  ne  se  passait  pas 
De  ce  silence  là 

Permis  aux  dieux  logeant  au  front  des  tours 

Et  pourtant  je  ne  sais 

S'il  l'aurait  échangé 

Contre  un  seul  trèfle  à  quatre  feuilles 

Ou  contre  un  seul  brin  de  muguet. 


POÈME 


Femme  dans  les  douleurs 
Femme  habitée  d'un  dieu 
Pose  ton  pied  sur  cette  pierre 
Désertée  par  le  plus  grand  feu 
Pose  ton  pied  la  belle  amante 
A  la  lisière  du  granit 
Pose  ton  pied  la  seule  amante 
Pose  ton  pied  de  chair  ardente 
Son  poids  léger  cela  suffit. 
Femme  celui  que  tu  demandes 
Peut  bien  s'échapper  Dieu  merci 
Par  un  petit  trou  de  souris. 

Alors  le  désespoir  s'est  levé  de  sa  tombe 

Pour  aller  chasser  la  colombe 

Et  qu'il  laisse  à  l'argile  ses  eaux  et  ses  cheveux 

Son  ventre  de  velours  aussi  ses  cuisses  roses 

Il  n'a  pas  besoin  de  ces  choses 

Qu'il  ne  reprenne  que  ses  yeux 

Quel  beau  fusil  d'argent 

A  tuer  les  amants. 

Prenez  garde  à  vous  les  chaumières 
Éteignez  toutes  vos  lumières 
Éteignez  toutes  vos  prières 
Leur  fumée  ferait  signe  aux  yeux 
Qui  sortent  de  dessous  la  pierre 
Bouchez  bouchez  vos  cheminées 
Et  ramassez  vos  souliers  d'or 
Il  est  ressuscité  des  morts 
Bouchez  bouchez  vos  cheminées 


Car  même  si  ce  n'est  décembre 
Le  désespoir  pourrait  descendre 
Le  désespoir  aux  yeux  tout  nus 
Par  où  descend  l'Enfant- Jésus. 

L'Étoile  avait  les  yeux  si  grands 
Qu'elle  a  bu  ceux  du  revenant 
Et  son  souvenir  s'est  pendu 
Au  cou  du  premier  if  venu. 

Il  n'y  a  pas  de  jamais  plus! 


UNE  CHAUMIÈRE  ET  UN  CŒUR 


Elle  sera  fondée  sur  terre  de  bruyère 

Nécessaire  au  lever  des  délicates  fleurs 

Une  rose  de  feu  parfumera  son  cœur 

Ses  murs  tiendront  de  l'arbre  et  de  son  rossignol 

Retrouvant  dans  la  nuit  le  feuillage  et  le  vol 

Elle  ouvrira  sa  porte  aux  marchands  de  lumière 

Dont  les  pas  auront  fait  tout  le  tour  de  la  terre 

Elle  épousera  l'ombre  avec  ce  geste  lent 

Des  siècles  pour  le  roc  des  années  pour  l'enfant 

Elle  demeurera  aux  confins  des  baisers 

Que  colombes  péries  n'ont  pas  pu  se  donner 

Et  son  toit  hélera  d'une  fumée  timide 

Le  sang  de  cette  étoile  offerte  comme  guide 

Aux  voyageurs  perdus  dans  leurs  marches  secrètes 

Qui  se  mettent  au  monde  avec  un  cri  de  fête 

A  chaque  carrefour 

Où  s'ouvre  un  puits  d'amour. 


64 


CET  ENFANT 


Cet  enfant  de  là-haut  ce  bel  enfant  très  sage 

Oh!  pas  comme  une  image 

Cet  enfant  qui  dormait  dans  l'Étoile  des  Mages 

Cet  enfant  qui  pleuvait  dans  toute  pluie  d'orage 

Cet  enfant  qui  brûlait  dans  les  soleils  ardents 

Et  soufflait  dans  les  quatre  vents 

Cet  enfant  qui  saignait  dans  les  terres  blessées 

Cet  enfant  qui  riait  dans  les  moissons  coupées 

Cet  enfant  qui  naissait  par  de  beaux  clairs  de  lune 

Cet  enfant  qui  mourait  sur  le  sable  des  dunes 

Comme  la  vague  et  son  écume 

Et  renaissait  des  mers  sur  un  seul  mot  d'amour. 

Vrai  de  tant  d'hommes  en  tant  de  femmes 
Cet  enfant  tant  de  fois  conçu 
N'a  jamais  été  reconnu. 


65 


JE  SUIS  NEE  DE  LA  MER 


Je  suis  née  de  la  mer  et  ne  le  savais  plus 

Trop  de  pavots  avaient  maculé  mes  pieds  nus 

Les  soirs  où  les  bergers  m'appelaient  dans  la  ronde 

Pour  passer  le  furet  de  ma  main  dans  leurs  mains 

Furet  des  bois  jolis  furet  des  vieux  jardins. 

Je  suis  née  de  la  mer  et  ne  le  savais  plus 
Trop  de  chaînes  avaient  appris  à  mon  corps  nu 
Cette  haute  caresse  où  l'écorce  connaît 
La  façon  d'arracher  aux  jeunes  filles  blondes 
Des  gouttes  de  bonheur  de  quelque  sainte  plaie. 

Je  suis  née  de  la  mer  et  ne  le  savais  plus 

Trop  de  bêtes  avaient  partagé  mon  cœur  nu 

Dans  les  hautes  futaies  habitées  par  la  lune 

Trop  de  sangliers  forts  à  renifler  l'oronge 

Trop  de  biches  les  sœurs  effrayées  par  leurs  songes 

Trop  de  martins-pêcheurs  gonflés  d'humides  chants 

Délivrés  par  leurs  becs  en  baisers  trop  savants. 

Je  suis  née  de  la  mer  et  ne  le  savais  plus 

Mais  l'homme  au  bras  marin  me  parla  de  l'écume 

Et  l'humus  des  forêts  fut  le  sable  des  dunes 

Et  les  bergers  laissant  leurs  troupeaux  de  moutons 

Au  premier  loup  venu  gardèrent  des  poissons 

Le  nez  du  sanglier  fouilla  le  goémon 

La  biche  apprivoisa  chaque  lame  de  fond 

Et  les  désirs  des  fûts  chantèrent  un  navire 

Que  les  oiseaux  pécheurs  voilèrent  sans  rien  dire 

De  leurs  ailes  tendues  à  des  ciels  inconnus. 

Je  suis  née  de  la  mer  et  ne  l'ai  reconnu 

Qu'au  bras  de  mon  amour  et  ne  l'oublierai  plus. 


66 


ARC-EN-CIEL 


Entre  la  pluie  et  le  soleil 
L'aveugle  touche  Parc-en-ciei 
L'aime  le  respire  et  l'écoute 
Sans  s'étonner  que  sur  sa  route 
Un  bras  ami  des  yeux  du  cœur 
Ait  envoyé  les  sept  couleurs. 

Je  dis  Violet  quand  les  statues 
Rêvent  de  Pâques  revenues 
L'Indigo  sur  ma  langue  passe 
Quand  je  la  passe  à  l'eau  de  grâce 
Où  la  boule  miraculeuse 
Fût  plongée  par  quelle  laveuse? 
Je  dis  Bleu  quand  les  hirondelles 
Reconnues  au  bruit  de  leurs  ailes 
Rentrent  au  nid  de  ma  tourelle. 
Je  dis  Vert  quand  un  vent  de  feu 
M'incline  du  côté  de  Dieu 
Et  Jaune  quand  les  chanterelles 
Chantent  dans  ma  forêt  fidèle 
Mieux  que  noir  parfum  des  airelles 
Et  je  ne  murmure  Orangé 
Que  tête  coiffée  du  clocher 
De  mon  église  sans  péché 
Sous  l'arceau  des  arbres  sacrés. 

Mais  je  dis  Rouge  quand  ta  voix 
Couvre  mon  cœur  de  son  velours 
Comme  effeuillement  de  dahlias 
Qui  vraiment  n'en  finirait  pas 
Je  dis  Rouge  quand  ton  amour 


Se  met  à  traverser  ma  nuit 

Selon  ce  mouvement  bénit 

Du  flot  vers  la  plage  allongée 

Se  met  à  chavirer  mon  lit 

De  ses  vagues  illimitées 

Plus  hautes  que  raz  de  marée 

Plus  larges  que  largeur  des  mers  additionnées 

Et  plus  profondes  que  sanglots  des  chairs  noyées. 


68 


TU  ES  ROUGE 


Tu  es  rouge 

Et  tu  ne  le  sais  pas 

Pourtant  ton  sang  répond  toujours  à  haute  voix 

Quand  mes  caresses  le  questionnent 

Et  je  lis  sur  ton  front 

La  couleur  de  ton  nom 

Qui  n'était  visible  à  personne. 

Je  t'ai  déjà  connu  lorsque  j'avais  des  yeux 
Dans  l'amour  des  pavots  sauvages 
Qui  palpitaient  de  tous  leurs  feux 
Entre  mes  cils  de  vierge  sage  : 
«  Gentils  coquelicots,  mesdames, 
Gentils  coquelicots  nouveaux  » 
Mais  prenez  garde  à  la  flamme! 

Je  t'ai  déjà  connu  lorsque  j'avais  des  yeux, 

Et  ce  sanglot  que  tu  me  fais 

C'était  bien  sûr,  c'était  le  même 

Les  soirs  au  bout  de  la  semaine 

Qui  faisaient  mes  cuisses  de  laine 

Quand  la  servante  sacrifiait 

Sur  la  table  de  la  cuisine 

Les  deux  pigeons  dominicaux 

Par-dessus  les  lauriers  coupés 

Où  sont  les  fièvres  enfantines. 

Le  chat  criait  mort  aux  oiseaux. 

Il  me  pesait  sur  la  tête 

Tout  le  poids  de  la  planète 

Et  je  perdais  mes  genoux 

Dans  une  course  inconnue 

Des  beaux  garçons  de  chez  nous. 


6 


69 


Tu  es  rouge  et  je  le  savais, 

Sur  les  lèvres  des  filles  blanches 

Que  je  demandais  le  dimanche 

Pour  jouer  du  phono  dans  le  ton  de  mon  cœur 

En  dansant  sur  l'école  où  pâlissaient  mes  sœurs. 

Je  t'ai  déjà  connu  lorsque  j'avais  des  yeux 
Dans  l'horizon  blessé  par  les  soleils  d'adieux 
Et  je  demeurais  sur  la  terre 
Une  peine  ronde  au  bord  des  paupières. 

J'interroge  aujourd'hui  la  mémoire  du  monde 
Pour  savoir  en  quel  siècle  et  contre  quel  là-bas 
Nos  corps  se  sont  unis  pour  la  première  fois. 


70 


ABEILLE  DE  MIDI 


Abeille  de  midi 

Dieu  ne  t'avait  permis 

Que  la  fleur  et  le  fruit 

Que  les  ronrons  dans  la  rabine 

Que  le  plaisir  dans  l'aubépine 

Où  les  enfants  du  soir  se  blessaient  les  genoux 

Et  crachaient  sur  la  braise 

Avant  d'aller  rêver  au  bras  des. anges  doux 

De  vacances  de  glaise 

Dociles  à  leurs  mains 

Qui  parlaient  de  châteaux  dont  les  clés  en  airain 
Se  déclinaient  sans  mal  avec  des  mots  latins 
Rosa  la  rose  à  s'ouvrir  sur  tous  les  chemins. 

Tu  ne  devais  filer  que  miel 
En  passant  par  les  voies  du  ciel 
Du  blé  noir  à  la  table  ronde 
Pour  les  lèvres  des  têtes  blondes. 
Petite  abeille  de  midi 
Quel  doigt  levé  dans  quel  pays 
Quel  ordre  a  fait  que  tu  choisis 
La  pierre  close  sur  sa  nuit 
Son  cœur  ne  connait  la  rosée 
Ni  les  mouvements  du  soleil 
Ni  la  salive  parfumée 
Des  sangliers  à  leur  réveil. 

Comment  vouloir  creuser  la  pierre 
De  ton  aiguillon  si  léger 
Qu'un  souffle  de  fée  briserait 
C'est  un  bien  long  voyage  à  faire. 
Quels  jeux  pratiquer  pour  que  s'ouvre 
La  chair  durcie  de  cette  louve. 
L'eau  ne  sait  pas  le  vent  non  plus 
Le  feu  même  n'a  jamais  su. 


Que  de  baisers  et  que  de  tours 

A  inventer  par  ton  velours 

A  inventer  par  ton  amour 

Avant  d'arracher  au  cœur  du  granit 

Ce  rien  de  miel  roux  qu'il  n'a  pas  promis. 

Pierre  debout  devant  le  sable 
Face  à  la  mer  et  face  au  ciel 
Dieu  n'aimerait-il  qu'à  sa  table 
On  lui  serve  ce  rien  de  miel 
Caché  par  lui  dans  ton  calice 
Avec  la  sève  pour  complice 
Lorsque  la  pierre  était  en  fleur 
A  la  saison  des  rois  de  cœur? 

Patience  petite  abeille 
Il  faut  découvrir  la  merveille 
Et  porter  cette  goutte  d'or 
De  l'autre  côté  de  la  mort 
Que  Dieu  l'ajoute  à  son  trésor. 


72 


CHAMBRE  NOIRE 


Or  donc  ils  recouvrèrent  usage  de  parole 

Osant  rêver  tout  haut 

Maintenant  qu'ils  étaient  certains 

Que  mon  regard  ne  pouvait  plus  les  faire  rougir 

Dans  cette  chambre  noire 

Chacun  développa  son  chant 

Et  le  miroir  soutint 

D'un  clapotis  sans  fin 

Qu'il  avait  dérobé  son  âme  aux  eaux  du  lac 

Le  vase  de  cristal 

Éclata  d'un  rire  d'enfant 

Sous  la  caresse  d'un  pétale 

De  rose  chancelant 

Et  le  tiroir  de  la  crédence 

Qui  dormait  toujours  bouche  ouverte 

Se  mit  à  raconter  le  secret  de  ses  lettres 

Avec  entière  confiance. 

Moi  je  leur  répondis  d'un  geste  de  la  main 
Que  je  recommençai  cent  fois  jusqu'au  matin 


73 


S'ILS  VENAIENT. 


S'ils  venaient  du  bout  du  monde 
Avec  leurs  petits  couteaux 
Dont  la  pointe  est  sans  défaut 
Pour  tuer  mes  yeux  nouveaux 
Gonflés  de  fièvre  féconde 
Pour  voler  mon  regard  fou 
Qui  se  faufile  partout 
Sous  les  portes  des  prisons 
Où  les  hommes  se  refont 
Une  misère  dorée 
Dans  les  veines  des  chansons 
Où  Penfant  prend  l'horizon 
Pour  un  village  de  fée. 

S'ils  voulaient  rendre  la  vie 
A  mes  prunelles  guéries 
Des  formes  sempiternelles 
Qui  masquent  le  goût  du  ciel 
S'ils  m'arrachaient  ce  regard 
Qui  n'a  jamais  peur  du  noir 
Et  comme  un  poisson  dans  l'eau 
Entre  ma  peau  et  mes  os 
Nage  heureux  de  paysages 
Rebâtis  à  son  image 
Au  fond  de  son  beau  miroir 
Je  lâcherais  mes  bons  chiens 
Sur  leurs  gueules  d'assassins 
Et  m'endormirais  tranquille 
Aux  plis  de  ma  belle  ville 
Où  les  filles  ont  le  droit 
De  fleurir  sur  tous  les  toits 


Et  les  lilas  le  devoir 

De  marcher  sur  le  trottoir 

Et  les  autres  le  bonheur 

De  se  peindre  à  la  couleur 

De  leurs  voix  et  de  leurs  cœurs. 

Mais  si  depuis  leurs  rivages 
Ils  essayaient  du  chantage 
Faisant  tourner  ton  image 
A  la  pointe  de  leurs  fers 
Mon  Dieu  que  faudrait-il  faire? 
J'aurais  peur  de  ton  visage 
Car  s'il  ne  répondait  pas 
Aux  méandres  de  ta  voix 
Dieu  que  ferais-je  de  moi? 

Ma  ville  est  bâtie  sur  l'eau 
C'est  un  très  joli  bateau 
Qui  promène  ses  fenêtres 
Tout  autour  d'une  planète 
Où  les  choses  ont  des  yeux 
Qui  me  baisent  sur  le  front 
De  leur  ombre  et  de  leur  feu 
Selon  l'heure  ou  la  saison 
Où  les  bêtes  qui  me  voient 
Ne  sont  jamais  à  l'étroit 
Dans  un  moule  trop  petit 
Elles  ont  des  corps  construits 
A  la  taille  de  leurs  cris. 
Les  fenêtres  de  ma  ville 
Sont  surveillées  par  des  chiens 
Aussi  longs  qu'un  jour  sans  pain 
Elles  donnent  sur  des  chats 
Labyrinthes  de  velours 
Qui  s'étirent  du  trépas 
Jusqu'à  la  porte  du  jour 
Elles  frémissent  souvent 
Au  galop  trop  exaltant 
De  chevaux  ni  noirs  ni  blancs 
Aussi  vastes  que  le  vent. 


S'ils  voulaient  passer  la  mer 
Portant  leurs  lames  de  fer 
Pour  envoyer  par  le  fond 
Mon  navire  et  ses  maisons 
Je  brûlerais  l'océan 
Avec  mes  yeux  du  dedans 
Et  m'endormirais  tranquille 
Aux  plis  de  ma  belle  ville. 


CHANSONS 


★ 


FONTAINE 


J'ai  jeté  mon  cœur  dans  une  fontaine 
Mais  l'oiseau  me  dit  qu'il  n'en  est  pas  mort 
Peut-être  qu'il  dort  peut-être  qu'il  dort 
Peut-être  qu'il  dort  sa  profonde  peine. 
Qui  réveillera  mon  doux  cœur  noyé? 
Et  l'oiseau  répond  :  le  cri  de  l'été. 

J'ai  jeté  mon  sang  dans  une  fontaine 
Mais  le  vent  me  dit  qu'il  est  rouge  encor 
Peut-être  qu'il  dort  peut-être  qu'il  dort 
Peut-être  qu'il  dort  son  histoire  humaine. 
Qui  réchauffera  mon  sang  tout  glacé? 
Et  le  vent  répond  :  ça  c'est  un  secret. 

Les  filles  à  la  fontaine 
Pleurent  toujours  un  soldat 
Qui  s'en  est  allé  là-bas 
Manger  la  terre  lointaine. 

J'ai  jeté  ma  vie  dans  une  fontaine 
Mais  un  gars  me  dit  qu'elle  bouge  encor 
Viendra  la  Saint-Jean  et  debout  les  morts! 
Ah!  si  vous  vouliez  maintenant  ma  reine... 
Mieux  que  le  soleil  un  gars  sait  crier. 

Adieu  mon  soldat  qui  s'en  est  allé 
Je  n'attendrai  pas  que  vienne  l'été 
Pour  vous  oublier. 


LE  FOU  DU  VILLAGE 


Il  a  le  front  clair 
Et  le  cœur  à  nu 
Il  a  les  yeux  verts 
Des  enfants  perdus 
Il  m'attend  là-bas 
Sous  un  pommier  doux 
Les  hommes  de  loi 
Disent  qu'il  est  fou. 

Tous  les  Messieurs  bien  crachent  sur  son  ombre 
Quand  il  se  promène  au  bras  de  l'amour 
D'un  amour  sans  poids  sans  voix  sans  atours 
D'un  amour  volé  au  sein  d'une  tour 
D'une  tour  du  monde. 

Il  chante  à  la  lune 
Un  air  d'oiseau  bleu 
Chacun  sa  chacune 
Il  faut  être  heureux 
Il  aura  mon  corps 
Quand  il  le  voudra 
Il  aura  mon  âme 
Au  temps  des  lilas. 

Tous  les  Messieurs  bien  crachent  sur  son  ombre 
Quand  il  se  promène  au  bras  de  l'amour 
D'un  amour  sans  poids  sans  voix  sans  atours 
D'un  amour  volé  au  sein  d'une  tour 
D'une  tour  du  monde. 


Pas  de  mariage 
Avec  les  maudits 
Le  fou  du  village 
Est  mort  cette  nuit 
Et  les  vierges  sages 
Ont  prié  pour  lui. 

Moi  j'ai  son  image 
Au  pied  de  mon  lit. 


LE  CHEVALIER  DE  PARIS 


Le  grand  chevalier  du  cœur  de  Paris 
Se  rappelait  plus  du  goût  des  prairies 
Il  faisait  la  guerre  avec  ses  amis 
Dedans  la  fumée  dedans  les  métros 
Dessus  les  pavés  dedans  les  bistrots 
Il  ne  savait  pas  qu'il  en  était  saoûl 
Il  ne  savait  pas  qu'il  dormait  debout 
Paris  le  tenait  par  la  peau  du  cou. 

Ah!  les  pommiers  doux 
Ronde  et  ritournelle 
J'ai  pas  peur  des  loups 
Chantonnait  la  belle 
Ils  sont  pas  méchants 
Avec  les  enfants 
Qu'ont  le  cœur  fidèle 
.  Et  les  genoux  blancs. 

Sous  un  pommier  doux  il  l'a  retrouvée 
Croisant  le  soleil  avec  la  rosée 
Vive  les  chansons  pour  les  bien-aimées 
Je  me  souviens  d'elle  au  sang  de  velours 
Elle  avait  des  mains  qui  parlaient  d'amour 
Et  tressaient  l'argile  avec  les  nuages 
Et  pressaient  le  vent  contre  son  visage 
Pour  en  exprimer  l'huile  des  voyages. 

Ah!  les  pommiers  doux 
Ronde  et  ritournelle 
J'ai  pas  peur  des  loups 
Chantonnait  la  belle 
Ils  sont  pas  méchants 
Avec  les  enfants 
Qu'ont  le  cœur  fidèle 
Et  les  genoux  blancs. 


Adieu  mon  Paris  dit  le  chevalier 

J'ai  dormi  cent  ans  debout  sans  manger 

Les  pommes  d'argent  de  mes  doux  pommiers 

Alors  le  village  a  crié  si  fort 

Que  toutes  les  filles  ont  couru  dehors 

Mais  le  chevalier  n'a  salué  qu'elle 

Au  sang  de  velours  au  cœur  tant  fidèle 

Chevalier  fera  la  guerre  en  dentelle. 


7 


85 


VENT  PRINTEMPS 


Celles  qu'on  éteignait  celles  au  blanc  promises 
Celles  qu'on  habillait  de  silence  et  de  froid 
Celles  qui  ronronnaient  des  leçons  bien  apprises 
Cœur  battant  cils  baissés  mais  qui  n'y  croyaient  pas. 

Celles  qu'on  enfermait  dans  des  chapelles  grises 
Celles  qu'on  emmurait  dans  les  plus  hautes  tours 
Celles  qui  n'attendaient  qu'un  signe  de  la  brise 
Ont  cassé  leurs  carreaux  pour  passer  dans  l'amour. 

Nous  t'embrasserons  trois  fois  sur  la  bouche 

Chevalier  printemps  pas  très  comme  il  faut. 

Est-ce  défendu  que  les  vierges  couchent 

Avec  un  amour  couronné  d'oiseaux? 

Et  tant  pis  s'ils  sont  vrais  ces  vieux  dits  de  nos  mères 

Que  le  vent  du  printemps  fit  les  quatre  cents  coups 

Dans  les  bois  dans  les  prés  sur  les  bords  des  rivières 

Ça  alors  si  vous  saviez  comme  on  s'en  fout! 


86 


JAMAIS  PLUS 


Sa  voix  d'ange  épousait  mon  cœur, 
Elle  chantait  sur  ma  douleur 
Comme  un  beau  soleil  sur  la  neige 
Et  je  croyais  aux  sortilèges 
Qu'il  inventait  pour  mon  bonheur. 

Il  disait  simplement  :  «  Bonjour,  comment  vas-tu?  » 
Avec  un  charme  étrange  et  gonflé  d'inconnu 
Je  l'ai  pris  pour  un  ange  il  s'en  est  aperçu 
Et  son  cœur  s'est  penché  du  côté  de  la  rue. 

Il  est  parti  avec  sa  voix 
Avec  sa  bouche  avec  ses  bras 
Et  moi  j'habite  un  grand  silence 
Où  se  promène  son  absence 
Absence  qui  n'en  finit  pas. 

Il  disait  simplement  :  «  Bonjour,  comment  vas-tu  ?  » 
Avec  un  charme  étrange  et  gonflé  d'inconnu 
Je  l'ai  pris  pour  un  ange  il  s'en  est  aperçu 
Il  a  dit  simplement  :  «  Bonsoir  —  et  jamais  plus 
Jamais  plus!  » 


87 


CHANSONS  POUR  PIERRE 


Je  me  souviens  que  sur  mes  terres 
Vivait  le  double  du  soleil 
Il  m'épousait  sur  la  bruyère 
Il  me  creusait  de  sa  lumière 
Et  m'apprenait  le  goût  du  ciel 
Comme  berger  à  sa  bergère 
Entre  la  ronde  et  le  sommeil. 

Toutes  les  filles  ont  un  miroir 
Pour  apprivoiser  leurs  songes 
Mais  faut  pas  cueillir  l'oronge 
Sous  les  ailes  des  bois  noirs. 

Je  me  souviens  que  sur  mes  terres 
Vivait  le  cœur  d'un  garçon  blanc 
Il  me  chantait  sur  la  bruyère  : 
«  Sous  les  arceaux  de  la  prière 
Tu  seras  mienne  à  la  Saint  Jean 
Je  te  ferai  la  prisonnière 
Du  visage  de  notre  enfant.  » 

Toutes  les  filles  ont  un  miroir 
Pour  apprivoiser  leurs  songes 
Mais  faut  pas  cueillir  l'oronge 
Sous  les  ailes  des  bois  noirs 

Je  me  souviens  que  sur  mes  terres 
Passaient  les  chevaliers  de  nuit 
Leurs  pas  écrasaient  la  bruyère 
Ils  confondaient  joie  et  misère 
Leur  amour  n'était  pas  permis 
Le  plus  grand  fit  sa  croix  légère 
Pour  que  je  m'en  aille  avec  lui. 


Toutes  les  filles  ont  un  miroir 
Pour  apprivoiser  leurs  songes 
Mais  faut  pas  cueillir  l'oronge 
Sous  les  ailes  des  bois  noirs. 

J'ai  appris  bien  des  chansons 
Sur  les  genoux  de  grand'mère 
Et  toujours  le  même  nom 
Un  nom  qui  s'en  va-t-en  guerre 
Un  nom  qui  s'appelle  Pierre 
S'y  promenait  à  mi-voix 
Vive  l'ombre  et  le  lilas. 
★ 

Toutes  les  filles  ont  un  miroir 
Pour  apprivoiser  leurs  songes 
Mais  faut  pas  cueillir  l'oronge 
Sous  les  ailes  des  bois  noirs. 

Donnez-moi  la  clef  du  feu 
Que  je  passe  au  cœur  du  monde 
Et  que  je  gagne  le  lieu 
Des  fêtes  les  plus  profondes. 

Une  fille  se  promène 
Au  bord  du  feu  et  du  sang 
Rouge  est  l'eau  de  la  fontaine 
Où  l'ombre  de  son  amant 
Lui  fait  signe  d'espérance 
En  habitant  son  silence 
De  gestes  lents  à  mourir 
Comme  aronde  à  revenir 
Au  yieux  nid  de  son  enfance. 

Donnez-moi  la  clef  du  feu 
Que  je  passe  au  cœur  du  monde 
Et  que  je  gagne  le  heu 
Des  fêtes  les  plus  profondes. 
* 

Son  nom  demeurait  dans  les  chansons  douces 
Que  je  dépliai  sous  les  dômes  roux 
De  mes  bois  jolis  la  fièvre  aux  genoux 
Les  membres  en  croix  pressés  sur  la  mousse. 


J'ai  un  long  voyage  à  faire 
Beaux  oiseaux  du  paradis 
Comme  on  a  de  la  misère 
Rendez-moi  mon  ami  Pierre 
Celui  qu'est  parti-t-en  guerre 
Sur  les  marches  de  Paris. 

Pierre,  ton  nom  dur  habitait  ma  bouche 
Ma  langue  tournait  tout  autour  de  lui 
Ma  langue  saignait  sur  mon  grain  farouche 
Mais  je  ne  pouvais  demander  merci. 

J'ai  un  long  voyage  à  faire 
Beaux  oiseaux  du  paradis 
Comme  on  a  de  la  misère 
Rendez-moi  mon  ami  Pierre 
Celui  qu'est  parti-t-en  guerre 
Sur  les  marches  de  Paris. 

J'ai  vécu  cent  fois  pour  l'eau  pour  le  vent 
Pour  la  chair  des  fruits  pour  le  chant  béni 
Des  bergers  du  soir 

Et  pour  le  velours  du  chat  dans  mon  lit. 

J'ai  un  long  voyage  à  faire 
Beaux  oiseaux  du  paradis 
Comme  on  a  de  la  misère 
Rendez-moi  mon  ami  Pierre 
Celui  qu'est  parti-t-en  guerre 
Sur  les  marches  de  Paris. 

★ 

Quand  tu  viendras  dans  ma  maison 
La  servante  sur  le  perron 
Rangera  les  roses  trémières 
Chargées  de  toutes  ses  prières 
Et  son  cœur  la  précédera 
Pour  te  conduire  dans  mes  bras. 


Que  j'aime  Paris 
Son  livre  d'images 
Que  j'aime  minuit 
Quand  je  suis  pas  sage 
Qui  pleure  au  village 
Pendant  que  je  ris. 

Quand  tu  viendras  dans  ma  maison 
La  servante  dira  ton  nom 
J'oublierai  toutes  mes  attentes 
La  Demoiselle  et  sa  tourmente 
Nous  dormirons  dans  un  grand  lit 
Sous  les  secrets  qu'on  n'a  pas  dits. 

Que  j'aime  Paris 
Son  livre  d'images 
Que  j'aime  minuit 
Quand  je  suis  pas  sage 
Qui  pleure  au  village 
Pendant  que  je  ris. 

★ 

Les  oiseaux  bleus  reviendront 
Cerner  de  joie  ma  maison 
Vole,  vole  tout  en  rond 
Avecque  les  hirondelles 
Pour  nicher  dans  ma  tourelle 
Vole  vole  mes  chansons. 

Adieu  mes  amis!  Adieu  mes  rosiers! 
Je  crois  qu'il  est  temps  de  vous  en  aller 
Mon  visage  tourne  autour  d'un  visage 
Qui  mettra  le  feu  à  tout  mon  village. 

La  fontaine  avait  menti 
L'homme  n'était  pas  parti 
L'homme  n'était  pas  maudit 
Se  lève  ma  bonne  étoile 
Chevalier  de  ronde  table 
Nous  commençons  aujourd'hui. 


J'ai  ta  main  contre  ma  main 
Ton  chemin  dans  mon  chemin 
Comme  tu  m'aimes  demain 
Que  sonne  la  cloche  rouge 
Que  le  ciel  la  terre  bougent 
Personne  n'aura  plus  faim. 

Seigneur  merci  pour  mon  enfance 
Seigneur  merci  pour  mes  souffrances 
Seigneur  merci  pour  l'espérance 
Et  pour  m'avoir  ouvert  en  m'habillant  d'un  corps 
Cette  porte  qui  donne  sur  votre  mine  d'or 
Ma  tête  ne  sait  plus  le  nom  de  mon  amour 
Est-ce  l'autre?  Est-ce  lui? 
Votre  main  l'a  choisi. 

Les  yeux  clos  je  m'incline  ô  Dieu  devant  ta  loi 
Sans  chercher  à  connaître  au  signe  de  la  voix 
Quel  est  le  compagnon  qui  me  presse  le  bras. 


LA  FILLE  AVEUGLE 


La  fil!'  qu'avait  perdu  ses  yeux 
Traînait  son  cœur  traînait  sa  peine 
Sous  le  grand  soleil  du  bon  Dieu 
Elle  avait  plus  figure  humaine 
Ça  faisait  fuir  les  amoureux 
Et  comment  voulez-vous  qu'on  aime 
Une  filP  qu'a  perdu  les  yeux  ? 

Écoutez  moi  les  beaux  garçons 
Vraiment  c'est  pas  une  raison 
Parce  qu'on  a  les  yeux  blessés 
Pour  qu'on  n'ait  pas  besoin  d'aimer. 

Un  gars  qu'y  voyait  bien  pour  deux 

S'est  penché  sur  la  fille  en  peine 

Elle  lui  a  caressé  les  ch'veux 

Et  lui  a  dit  si  tu  m'emmènes 

Tu  connaîtras  mon  secret  bleu 

Cette  lumière  si  lointaine 

Qui  dort  tout  au  fond  de  mes  yeux. 

Écoutez  moi  les  beaux  garçons 
Vraiment  c'est  pas  une  raison 
Parce  qu'on  a  les  yeux  blessés 
Pour  qu'on  n'ait  pas  besoin  d'aimer. 

Elle  a  r'gardé  son  amoureux 
Avec  ses  mains  avec  sa  peine 
Avec  sa  bouche  avec  le  feu 
Qui  coulait  coulait  dans  ses  veines 
Alors  lui  en  fermant  les  yeux 
A  crié  fort  :  «  Sûr  que  je  t'aime 
Et  que  je  vois  ton  secret  bleu.  » 


Écoutez-moi  les  beaux  garçons 
Vraiment  c'est  pas  une  raison 
Parce  qu'on  a  les  yeux  blessés 
Pour  qu'on  n'ait  pas  besoin  d'aimer. 

Elle  a  rendu  le  gars  heureux 
Le  gars  qu'avait  tué  sa  peine 
Ils  ont  joué  les  amoureux 
Pendant  plus  de  trent'  six  semaines 
Et  puis  Us  ont  pleuré  sur  eux 

Ah!  comment  voulez-vous  qu'on  s'aime 
Sans  se  regarder  dans  les  yeux? 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Préface   5 

GUÉRIR 

Guérir   tî 

L'Enfant  Bleu   I3 

Pierre   I4 

Pour  un  Poète   ^ 

D'abord  des  cris  t0  Z£ 

Délivrance   jg 

*«*  .....;";*.;;."*."  20 

Jardin...   22 

Août   23 

SUITE  FORESTIÈRE 

L'Enfant  du  Druide   29 

Si  je  plante  ,   j0 

La  Fille  en  Trois   3I 

Chant  de  l'Eau   33 

Chant  du  Sang   35 

Chant  du  Feu   3  g 

TERRE  ET  CIEL 

L'Un   45 

L'Autre   4^ 

Conte  en  Sept   49 

De  ma  vie   ^2 

Anaël   ^3 

Partir   54 

Dans  ma  main   ^$ 

Soleil  

Pluie   58 


Tremble   $g 

Elle   6o 

L^   61 

Poème   62 

Une  Chaumière  et  un  Cœur   64 

Cet  enfant   65 

Je  suis  née  de  la  mer   66 

Arc-en-ciel   67 

Tu  es  rouge   69 

Abeille  de  Midi   71 

Chambre  noire   73 

S'ils  venaient   74 

CHANSONS 

Fontaine   81 

Le  Fou  du  Village   82 

Le  Chevalier  de  Paris*   84 

Vent  Printemps   86 

Jamais  plus*   87 

Chansons  pour  Pierre   88 

La  Fille  Aveugle*   03 


*  Ces  trois  chansons  qui  ont  été  mises  en  musique  par  Philippe  GÉRARD  ont  été  éditées 
par  la  maison  Enoch,  27,  Boulevard  des  Italiens,  à  Paris. 


ACHEVÉ  D'IMPRIMER 
SUR  LES  PRESSES  DES 
IMPRIMERIES  OBERTHUR 
POUR  LES  ÉDITIONS  DU  "  GOELAND  " 
LE  24  DÉCEMBRE  MCML 
EN    LA    VEILLE    DE  NOËL 


Dépôt  légal  éditeur  n°  0002. 


Dépôt  légal  imprimeur  n°  4090. 


1 


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Librairie  «  Les  Nourritures  Terrestres  » 
19,  Rue  Hoche  -  Rennes